Les mémoires d'un papy pas comme les autres ! Les mémoires d'un papy pas comme les autres !
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Le Colonel DUTEL - sa vie ; son histoire

06 mai 2025 Publications
Publié par Bernard FLEURY (002)
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MAURICE DUTEL…

 

Maurice DUTEL était connu par son passé militaire mais aussi par son passage au lycée St-Martin de SAINT QUENTIN comme Professeur d’Histoire Géographie.

Président fondateur de l’association de l’ordre national du Mérite de l’Aisne, le colonel Maurice DUTEL  avait aussi été élevé au grade de Grand officier de la Légion d’honneur. Mais loin de se laisser griser par cette distinction, l’homme le plus décoré de Picardie conservait son humilité et une verve sans filtre.

Il entre dans la Résistance à 20 ans

Il n’a que vingt ans quand son patriotisme lui fait prendre les armes dans une France occupée par l’Allemagne. Sidéré par la capitulation du Maréchal Pétain, le natif de FIEULAINE s’engage dans la Résistance aux côtés des forces françaises de l’intérieur (FFI). Malgré le danger permanent, Maurice DUTEL  poursuit son combat jusqu’au débarquement des forces alliées avant de rejoindre le 51e bataillon d’infanterie. Il y fera carrière en progressant avec les Américains jusqu’en Allemagne puis rejoint l’Indochine et ses terribles combats dont le plus illustre, Diên Biên Phu.

Blessé à deux reprises et fait prisonnier comme la majorité des Français, Maurice DUTEL  poursuit sa carrière en Algérie et obtient le prestigieux grade de colonel quelques années plus tard. Maurice DUTEL rejoint alors sa Picardie natale et plus précisément la ville de Saint-Quentin où il exerce son métier de professeur d’histoire-géographie au lycée Saint-Marin de 1963 à 1985.

C’est à son initiative que la section départementale de l’Ordre National du Mérite fut créée selon l’assemblée constitutive du 21 mai 1980.

De son vivant, Marc DOGNA, Secrétaire Général de l’ANMONM AISNE avait recueilli de nombreux témoignages écrits par le Colonel DUTEL. Afin de lui rendre hommage, Il nous propose aujourd’hui de partager l’ensemble de ces documents et photographies.

8 chapitres d’un documentaire intitulé « Entre guerres et paix » ou les mémoires d’un papy pas tout à fait comme les autres que le comité ANMONM AISNE a le plaisir et l’honneur de mettre en ligne afin de vous faire partager les grands moments de la vie de son Président… fondateur.

Nous vous souhaitons une bonne lecture !

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Premier chapitre

            

1920-1940

 

De la naissance à l’adolescence

 

 

            La guerre a réuni mes parents : ma mère, née à Fieulaine le 20 septembre 1897 était la seconde d’une famille de cinq enfants, son aîné étant décédé en 1908. Son père était livreur de bière pour la brasserie Leroy installée à Fieulaine. Après son travail il cultivait quelques lopins de terre, dispersés aux quatre coins du terroir, acquis are par are qui feront en 1934, cinq hectares. Sa mère, ouvrière agricole, a une vache et quelques volailles. La famille vit simplement et travaille dur.

Lorsque la guerre arrive elle subira les longues années l’occupation allemande avec son cortège de brimades et de restrictions. En 1918, la famille doit évacuer car le village est inclus dans les arrières de la ligne Hindenburg. Et c’est à Sars-Poteries, dans l’Avesnois, que l’armistice les surprend. Rentrée à Fieulaine, elle se réinstalle dans une baraque allemande restée debout au milieu des ruines. Mon grand-père retape quelques bâtiments éprouvés, va en région parisienne acheter un âne et reprend son travail comme ouvrier agricole, la brasserie étant anéantie. Maman va travailler chez une tante qui a rouvert une épicerie à Saint-Quentin, place Lafayette (ex-place aux Grenouilles !). Et c’est là qu’elle fera la connaissance de mon père, stationné là avant le départ vers l’Allemagne de son bataillon, le 27e Bataillon de Chasseurs Alpins.

Mon père est né le 25 décembre 1888 à Saint-Just-la-Pendue (Loire). Ses parents sont métayers du baron Piston de Saint-Cyr, installé au château de Saint-Marcel-de-Félines, où il vit de ses quatre-vingt-dix neuf fermes. Le métayage est un système dur au métayer. En effet, si le propriétaire fournit les terres et les bâtiments, le métayer fournit outils, cheptel et travail. Tous les fruits de l’exploitation sont répartis à part égale. L’intendant du baron passe chaque jour compter et emmener œufs et productions diverses.

Après son service militaire accompli de 1909 à 1911 à Albertville (Savoie) terminé comme caporal-mitrailleur, mon père travaille chez ses parents comme ouvrier agricole. Le 2 août 1914, il est mobilisé et fera toute la guerre dans des bataillons de chasseurs alpins (27e,  28e, 67e, 68e). Il sera cité cinq fois, après quatre blessures, Médaillé Militaire et nommé sergent. En 1918, il participe à la libération de Saint-Quentin. Son unité y stationnera quelques temps. Il fera connaissance de ma mère puis partira en occupation sur les bords du Rhin.

Le 14 août 1919, un samedi à onze heures, mes parents se marient en l’église de Fieulaine après la démobilisation de mon père. Des soldats du 87e RI stationnent dans le village où ils procèdent au ramassage des munitions et obus non explosés. L’un d’eux, infirmier, assistera au mariage et deviendra un amis de la famille. Herbager à Jublains dans la Mayenne il entretiendra d’amicales relations et accueillera toute la famille lors de l’évacuation de 1940.

Mes parents partent pour Saint-Marcel-de-Félines comme ouvriers chez mes grands-parents paternels. Sous la pression du baron propriétaire mon grand-père cède la métairie à mon père et se retire au lieudit « Les Baraques » à Saint-Just-la-Pendue, petit herbage qui lui appartient. Ma mère ne s’habitue pas à cette vie dans une région au climat rude où les gens parlent un patois qu’elle ne comprend pas. En mars 1920, elle décide de retourner chez ses parents à Fieulaine. Mon père s’engage dans la gendarmerie et part à l’école de gendarmerie de Moulins (Allier) pendant que ma mère rejoint sa Picardie natale. Et c’est ainsi que je nais dans une baraque en bordure d’un petit bois, à l’entrée de Fieulaine, le 24 septembre 1920 à quatre heures du matin, fils d’un cévenol des Monts du Lyonnais et d’une picarde, hasard de la guerre !

En décembre 1920, nous rejoignons mon père, à la brigade de gendarmerie de Saint-Just-en-Chevalet (Loire). Toujours ce climat rude des Monts de la Madeleine cette fois. L’atmosphère de la brigade est excellente grâce au chef Meyroninc, homme de grande stature, chef énergique mais très humain. Son épouse sera pour maman, un soutien aimable. Mais, malgré cet excellent environnement, maman a toujours la nostalgie de son village. En 1922 mon frère vient au monde à Fieulaine. En 1923 mon père, arguant de la santé de sa femme, obtient sa mutation pour la Picardie et est affecté à la brigade de La Capelle, à trente kilomètres de Fieulaine. La vie en Thiérache est calme. Nombreux sont les herbagers, mais au contraire de Saint-Marcel, ils ne sont pas métayers mais fermiers ou propriétaires exploitants.

La brigade est commandée par Jocaille puis Deprez. Les relations entre mon père et lui sont de plus en plus mauvaises. De plus Deprez n’a pas fait la guerre et a une certaine jalousie envers un gendarme ancien combattant aux nombreuses décorations. En 1927 mon père est muté à Beauvais où nous le rejoignons à la fin des vacances. Nous sommes logés dans une grande caserne qui abrite onze familles, 31 rue Saint-Pantaléon. Nous y sommes vingt et un enfants et à sept ans je suis le plus vieux ! Ma mère se lie d’amitié avec Madame Denis. Les deux familles resteront très liées par une profonde sympathie que seule la mort interrompra.

J’avais appris à lire dans la section préparatoire de Madame Bouderlique à La Capelle. Je me retrouve donc au cours élémentaire de l’école Victor-Durny avec un jeune instituteur tout frais émoulu de l’Ecole Normale, Monsieur Lennard.

De 1927 à 1932 je poursuivrai donc ce cursus élémentaire obligatoire successivement sous la houlette de Madame Pelorson, Monsieur Bourdon et Monsieur Dieutegard, homme de grande autorité, d’une conscience professionnelle exceptionnelle et, bien que radical convaincu d’une grande tolérance. Ne ménageant pas sa peine il obtient de remarquables résultats au Certificat d’Etudes où 95 % de ses élèves seront reçus. C’est ainsi qu’en mai 1932 je suis reçu au concours des bourses et obtient une bourse départementale et une bourse nationale qui seront renouvelées chaque année jusqu’en 1936, vu mes bons résultats scolaires.

Le 15 juin 1932 je suis reçu au Certificat d’Etudes à l’école Pellerin, premier du canton avec 85,5 points devançant mon camarade de classe Bailly, 83 points et Henri Chaval 81 points. Trois mentions très bien pour le canton dont deux l’école Victor-Duruy. Quel succès ! Je fais la connaissance de Henri Chaval. Nos deux familles resteront amies. Henri quittera cette terre en 1991 !

Octobre 1932 me voit rentrer à l’école primaire supérieure Cyprien-Desgroux, école jumelée avec une école pratique. Ce seront quatre années d’études appliquées qui m’amèneront au concours d’entrée à l’école normale d’instituteurs de Beauvais. Nous sommes cent vingt candidats le lundi matin 30 juin. Vingt et un sont reçus le vendredi soir. Chaval est premier, je suis huitième. Et onze sont de l’école primaire supérieure sur les vingt et un. Un magnifique succès dû à des professeurs de qualité : Catalogne en histoire-géographie, Amy en mathématiques, De Ridder en physique-chimie, Savaux en sciences naturelles et Launay en français, le tout sous l’autorité de Monsieur Ramette, un grand fumeur de week-end mais d’une extrême sévérité.

Pendant ces années 1927-1936 la vie beauvaisienne est calme. Papa est ordonnance du capitaine le matin, enquêteur l’après-midi. Il a loué un jardin à Notre-Dame du Thil, qu’il cultive très tôt le matin. Maman fait des ménages chez Madame Cauchy en prenant grand soin que cela ne se sache pas car les épouses de gendarmes n’ont pas le droit de travailler. Mais la solde est assez maigre. Toutes nos vacances se passent à Fieulaine où je m’initie aux travaux de l’agriculture car mes grands-parents vivent avec leurs cinq hectares, trois vaches, des poules, lapins et canards. Nous y vivons comme des robinsons de terre ferme, jouant sur cette propriété qui est pour nous le symbole d’une grande liberté.

A Beauvais un seul événement nous impressionne quelque peu : en octobre 1931 un dirigeable anglais, le R 101, en route pour les Indes, pris dans un violent orage nocturne prend feu et s’écrase sur un bois de la commune d’Allonne. Quatre passagers de la nacelle arrière, blessés, sont rescapés. Tous les autres, dont Lord Tyrell, ministre anglais sont carbonisés. Le spectacle est dantesque. Mon père et des gendarmes de Beauvais sont les premiers sur les lieux. Un seul témoin direct sera trouvé : un braconnier qui était en train de poser des collets. Les anglais lui paieront un séjour outre-Manche pour qu’il relate ce qu’il a vu. Papa reçoit le Méritorius Service du gouvernement britannique et la médaille de sauvetage en argent de la République.

1936-1939, trois années qui ont profondément contribué à ma formation. J’y travaillerai beaucoup, c’est là que j’acquerrai les bases de ma culture, profitant d’une magnifique bibliothèque de plus de cinq mille volumes qui s’enrichissait d’une quinzaine de volumes chaque année, soigneusement choisis par notre directeur et souvent relié par un excellent relieur beauvaisien, Rabouille, dont le fils sera un de nos jeunes condisciples. Nous avons des professeurs dévoués : Monsieur Bouet en français, Toquet en sciences, Laurent en mathématiques, Perrier de la Bathie en agriculture et Poletti en dessin. Notre directeur, Launey, est un personnage imposant bien que de petite taille. C’est un disciple de Durkeim. Il nous enseigne psychologie, sociologie, philosophie et pédagogie.

Dans ces années là, les écoles normales avaient cessées d’être ces « couvents laïcs » des débuts du siècle. Ils n’avaient plus à se défendre contre la « réaction » par un laïcisme farouche. L’époque des grandes batailles pour la laïcité était close. Du moins nous le pensions. Les écoles normales étaient des établissements qui préparaient « à des fonctions pédagogiques et sociales » auxquelles la culture humaniste des lycées ne pouvait pas mener. Le philosophe Bouglé qui sera directeur de l’école normale supérieure définissait ainsi les vertus : « Les vertus formatrices d’un milieu, d’une école qui réunit pour une vie commune, en leur laissant d’ailleurs une liberté croissante, des jeunes gens de même vocation. Faut-il compter pour rien le frottement de leurs cervelles, hantées des mêmes préoccupations, les unes contre les autres, les traditions qu’ils ruminent ensemble, les expériences pédagogiques qu’ils mènent dans les écoles annexes et dont ils discutent les résultats à la table du réfectoire ? Faut-il ajouter que, recrutés dans la région et destinés à enseigner le plus souvent où est installé leur école, ils sont tout préparés à connaître les préoccupations du milieu social où ils vivent. »

Notre rêve était en fait un poste avec secrétariat de mairie. Cependant nous sentons confusément la montée des périls. Mais avec l’insouciance de la jeunesse et surtout notre manque d’information (il n’y a pas de radio et très peu de journaux car nos moyens sont modestes), nous n’y pensons pas trop, tout au moins jusqu’en 1938.

Les études nous absorbent. Même les moins ardents à l’ouvrage effectuent un travail qui étonnerait de nos jours. Il est vrai que les heures de cours, d’étude sont nombreuses. Lever à 6 heures l’hiver, 5 h 30 l’été. Coucher à 21 heures avec extinction des feux à 21 h 30. Les seuls moments de liberté sont le jeudi après-midi pour la préparation militaire supérieure que nous suivons tous sauf un. Nous serons d’ailleurs presque tous reçus lors de l’examen final en juin 1939.

Les années passent : la guerre d’Espagne, la montée de Hitler, l’Anschluss puis un coup de tonnerre : en septembre 1938 l’affaire des Sudètes entraîne une mobilisation qui nous fait toucher du doigt la dangerosité de la situation. A partir de ce moment là nous craignons cette guerre qui nous semble imminente. Notre grande inquiétude est de ne pas pouvoir achever notre cursus scolaire. Enfin arrive juillet 1939. Nous avons notre brevet supérieur, notre certificat d’aptitude à l’enseignement de l’éducation physique et notre brevet de préparation militaire supérieure. Le 1er octobre nous serons nommés instituteurs stagiaires. Nous pouvons donc partir sans souci en voyage de fin d’études.

Quinze jours de rêve du 2 au 17 juillet. Marseille et le vieux port, Bastia, Calvi, Ajaccio, Corte, Cap Corse, Bastia, Nice. Des paysages magnifiques, une terre qui a gardé son aspect traditionnel au patriotisme exacerbé par les réclamations de Mussolini qui veut annexer la Corse. De grandes affiches : « Nous voulons rester français » et la mise à sac du Consulat italien de Bastia nous frappent. Nous sommes heureux et fiers d’être français. Le 17 juillet nous nous séparons sur le quai de la gare du Nord, jurant de nous revoir. La vie en décidera autrement. Nous pourrions intituler ces jours qui suivent : « Les derniers jours du vieux monde », car nous allons entrer réellement dans une autre ère.

Je pars à Fieulaine mais fin août je rentre à Beauvais. Les événements se précipitent. Le 2 septembre la guerre est là : signature du traité germano-soviétique, invasion de la Pologne, déclaration de guerre de l’Angleterre et de la France, le cataclysme annoncé éclate et nous laisse quelque peu anéantis. Les nominations d’instituteur se succèdent car certaines sont annulées par la mobilisation. C’est ainsi que je suis nommé à Golancourt, puis à La Neuville Garnier puis détaché à Saint-Just-des-Marais et chargé du poste de surveillant à l’école normale. Je me retrouve donc pour une quatrième rentrée à l’école, surveillant de condisciples avec lesquels j’ai vécu une ou deux années. Quelle sinécure !

Un premier hiver de guerre. - Les lumières peintes en bleu, beaucoup d’hommes en uniforme mais une vie qui ne change guère. Je vis à l’école normale mais chaque midi je passe à la maison, 31, rue Saint-Pantaléon en allant faire ma classe à Saint-Just des Marais. Début janvier, le 4 ou le 6, je passe les épreuves du Certificat d’Aptitude Pédagogique de l’enseignement primaire. L’inspecteur primaire est accompagné de mon ancien directeur de l’école Victor-Durny, Monsieur Dieutegard, qui prenait sa retraite mais que la guerre a maintenu en activité. Je suis noté 14/20 ; Quelques jours plus tard je suis détaché à l’EPS Cyprien-Desgroux, repliée sur l’école Michelet et dirigée par Monsieur Amy, mon ancien professeur de mathématiques. Je fais les cours d’histoire et de géographie aux trois années de brevet supérieur. A l’école normale un autre surveillant est venu partager la tâche, Lemaire qui fera toute sa carrière à Beauvais comme professeur au lycée Félix-Faure.

Le 10 mai 1940 entraîne une intense émotion suivie d’une évacuation de Beauvais lorsque les troupes allemandes atteignent Amiens vers le 18. Transporté avec ma mère et mon frère à Gisors par la camionnette de la gendarmerie, puis par le train Gisors-Paris et Paris-Laval, nous débarquons à Jublains chez les Potier. M. Potier avait connu ma famille en 1919 alors, qu’appartenant au 87e RI comme sergent infirmier, il était cantonné à Fieulaine et avait assisté au mariage de mes parents le 14 août 1919 à 11 heures dans l’église de Fieulaine.

Au bout de quelques jours devant la stabilisation de la situation je repars seul et retrouve mon père à Beauvais. Je vais loger chez les Chaval à Aux Marais. Les 5, 6 et 7 juin les bombardiers allemands transforment la ville en volcan. Le 8 à 4 heures Henri Chaval et moi partons à bicyclette vers le sud après avoir vu tour à tour des chasseurs motorisés de la 4e DC, les alpins d’une division alpine transportés dans des autobus parisiens, des petits chars FT de 1918 progresser vers le Nord.

Nous roulons à bonne allure. Au haut de la côte d’Armeval nous voyons des volcans de feu et de fumée : Beauvais, Gisors, Rouen, ces villes brûlent avec fureur. A l’entrée de Gisors nous nous heurtons à un embouteillage monstre de réfugiés. Les allemands arrivent par une autre route. Nous contournons la ville, filons vers Vernon sans plus rencontrer âme qui vive. Le pont sur la Seine est vide. La ville de Vernon vient d’être bombardée. Personne. A peine avons nous franchi la Seine que le pont saute. Nous filons et quelques heures plus tard sommes à Evreux où se presse une foule de réfugiés, de militaires français et anglais, tous sans inquiétude. La guerre parait à cent lieux mais nous sommes méfiants. Nous achetons charcuterie et fruits et quittons Evreux. A la sortie, à l’ombre d’un bois nous cassons la croûte lorsque le bruit caractéristique des moteurs d’avions allemands nous réveille du léger somme que nous faisions. Effectivement une trentaine de bombardiers lâchent leurs bombes sur la ville. Ceci nous amène à repartir en vitesse roulant sans arrêt même la nuit. Nous traversons Alençon aux premières lueurs de l’aube et à la sortie de Villaine-la-Juhel nous arrêtons dans une petite auberge où la patronne nous sert jambon, saucisson, beurre, pain bis, le tout arrosé de cidre bouché frais. Il fait chaud, le soleil brille. Nous nous endormons dans un pré. Vers 16 heures nous repartons et arrivons en fin d’après-midi à Jublains. Je retrouve ma mère, mon frère et ma grand-mère, Francis et Carmen, arrivés avec le chariot conduit par Paul Desfontaines, eux-mêmes logés dans une autre ferme. Nous nous installons dans une ferme vide -  La Cousinière.  Un soir papa passe. Il a, lui aussi quitté Beauvais en feu le 7 juin et se dirige vers Nantes. Il poursuivra son chemin jusqu’à Montauban.

Les nouvelles sont mauvaises. Henri Chaval part le lendemain vers le sud. Il atterrira au Mans et terrassé par une dysenterie brutale restera à l’hôpital puis reviendra à Beauvais par les premiers trains qui fonctionneront après l’occupation.

Nous nous décidons à reprendre la route avec le chariot, vers la Loire. Au cours d’une halte, le 16 juin, j’entends, dans une ferme, le discours du maréchal Pétain. C’est pour moi une infime tristesse. Avoir vingt ans et voir son pays écrasé et occupé ! Quelle misère ! Nous arrivons sur les bords de la Loire en même temps que les allemands à Champtocée. Nous restons là quelques jours à dormir dans le foin. Le paysan voisin nous fait goûter son vin, un Côte de Layon que nous trouvons délicieux. Les allemands passent sur la route mais ne s’occupent pas de l’arrière-pays. Au bout de quelques jours nous décidons de repartir vers Jublains. Nous remontons vers Château-Gontier croisant d’interminables colonnes d’unités allemandes d’infanterie et d’artillerie hippomobile. Il faut bien se souvenir que la très grande majorité des troupes allemandes n’étaient pas motorisées. Les hommes semblent en excellente forme, jeunes, sportifs, de vrais scouts en vacances.

Nous arrivons sans problème à Jublains vers le 22 juin et nous nous installons à la Basse Cruchère, la ferme des Potier, toujours aussi aimables, Monsieur Potier qui avait été mobilisé comme infirmier à Alençon est revenu chez lui et nous accueille. Le lendemain, 23 juin, nous apprenons la signature de l’Armistice. Je vais au bourg (La Cruchère est à 3 kilomètres du centre du bourg).

Je trouve sur la place quelques jeunes venus de Fontaine-Notre-Dame et de Martigny, jeunes que j’avais connu en allant au bal pendant les grandes vacances de 1936, 1937 et 1938. Ils sont en conversation avec deux jeunes filles également réfugiées de l’Aisne puisque la Mayenne est le département d’accueil de ce département. L’Oise allant dans le Cher. Au cours de la conversation, je raconte mes pérégrinations et notamment le bombardement de Beauvais. L’une des deux filles me dit alors : « Je suis de Beauvais et mes parents habitent Voisinlieu.

- Où cela ?

- Dans les grands immeubles de la rue de Paris

- Ah ! Lequel ?

- Le deuxième.

- La première bombe tombée à Beauvais a touché le premier donc le vôtre n’avait rien le 8 juin ».

Et la conversation continua. Ce fut la première d’une très longue histoire qui se poursuit encore aujourd’hui puisque c’est ainsi que j’ai connu Renée, par un jour de juin 1940 ensoleillé mais triste d’une défaite sans précédent.

 Les jours suivants nous permettront de faire plus ample connaissance. Renée est là avec sa grand-mère, sa tante, sa cousine, son petit cousin Francis. Ils ont évacué de Fresnoy-le-Grand où elle était au cours complémentaire avec un chariot de paysans. Son père, mobilisé dans le train échappera à la captivité et arrivera à Eauze dans le Gers, sa mère évacuera de Beauvais à Villegenon dans le Cher. Renée aura seize ans le 14 août et moi vingt ans le 24 septembre. Jeunesse dans la guerre. Chaque après-midi je viens au village et nous allons nous promener dans les environs. Ainsi passent des jours heureux sans trop penser à la guerre, le temps ne compte plus. La vie reprend, l’occupation s’installe. Chacun va essayer de retrouver ses pénates et essayer de revivre « comme avant ».

Mais que de ruines, que de deuils, et une occupation pesante par une armée nombreuse et une police très active. La guerre est toujours là.

 

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Deuxième chapitre

1940-1948

 

De la guerre perdue

à une Indochine inconnue

           

         Fin juillet l’occupation s’installe. La vie reprend aussi je décide de rentrer à Beauvais. Je vais prendre le train à Laval. Renée et son cousin Charles (qui périra en déportation à Buchenvald) m’accompagnent à bicyclette jusqu’à Montsurs. Le train me ramène à Paris où, après une nuit chez ma marraine à Pantin je repars pour Beauvais. Si le quartier de la gare est intact la ville centre est totalement détruite par l’incendie.

   A la veille de la guerre, Beauvais est une petite ville très provinciale et très paisible. Elle compte vingt mille habitants car elle n’a pas encore englobé ses faubourgs (Saint-Just-des-Marais, Notre-Dame du Thil, Marissel et Voisinlieu) ce qui ne se fera qu’en 1943). A l’écart des grands axes de communication elle reste le chef-lieu du département, centre administratif et religieux, important marché régional, à la limite de trois régions naturelles. Ville d’art à l’aspect médiéval elle compte quatre vingt deux édifices portés à l’inventaire des monuments historiques. Comme bien d’autres cités Beauvais a vécu inconsciente les premiers mois de guerre.

            Du 5 au 9 juin 1940 la Luftwaffe bombarde la ville avec bombes explosives et surtout bombes incendiaires. Elle devient un gigantesque brasier contre lequel il est impossible de lutter. Les rues étroites, les impasses nombreuses sans coupe-feu, les maisons construites en bois et en pisé expliquent l’extension du feu sur la vieille ville. Seuls les faubourgs sont épargnés ainsi que les installations industrielles (usines Lainé, Labrosse et J. Dupont). La moitié des maisons, soixante édifices classés sur quatre-vingt deux, l’hôtel de ville, le musée et la manufacture de tapisserie créée par Colbert, tout est anéanti. Il ne reste qu’une forêt de cheminées que des équipes d’ouvriers abattent car elles constituent autant de danger d’écroulement. Je me rends à la caserne de gendarmerie qui s’est installée dans le palais de justice resté intact. Puis je vais chez Chaval à Aux Marais. Je suis piéton car ma bicyclette n’arrivera que deux jours plus tard. Ce qui prouve que malgré le désastre de l’occupation les cheminots ont rapidement repris leur travail avec sérieux et honnêteté.

            Je vais faire un tour à l’adresse des parents de Renée. Je fais ainsi la connaissance de sa mère revenue d’évacuation et réinstallée dans son appartement, pillé hélas ! Elle me parait jeune et jolie femme. Elle m’impressionne. Mes parents reviennent à Beauvais. Nous nous installons dans une maison inoccupée de l’avenue Victor-Hugo puis au 25 rue Léon-Zeude à Voisinlieu, maison que nous partageons avec un jeune gendarme Hector Réal, sa femme et leur petit garçon. Je vais revoir Madame Buvry et je trouve toute sa famille revenue de Jublains. Ma future belle-mère constate que je suis bien connue des siens et commence à penser que sa fille et moi ne sommes pas indifférents l’un à l’autre. Les freynoisiens repartent mais Renée veut rester avec sa mère. Celle-ci reprend son travail à l’usine Dupont. Monsieur Buvry qui a retraité jusqu’à Eauze dans le Gers, revient à son tour et accepte la situation qui fait de moi le fiancé officieux de sa fille. Le 15 septembre l’école primaire supérieure reprend vie dans les anciens locaux des ateliers de céramique. Les allemands ont réquisitionnés l’internat et une grande partie des locaux. Mais les ateliers de l’école pratique nous étant laissés, la vie scolaire reprend son cours. Nous faisons passer les examens qui n’ont pu avoir lieu en juin.

 La guerre continue et le champ d’aviation de Tillé connaît une activité intense : une escadre de bombardiers y est basée et part chaque jour bombarder l’Angleterre. Nous comptons les avions au départ quand ils se mettent en formation au dessus de nos têtes. Et nous faisons de même à leur retour, pas toujours très glorieux. Le calcul de leurs pertes nous donne des raisons d’espérer. Les allemands finissent par comprendre les raisons de notre optimisme et varient leurs atterrissages au retour en faisant poser leurs appareils sur d’autres terrains.

Les restrictions de toutes les denrées frappent durement, particulièrement les habitants des villes. Le seul légume visible sur le marché est le rutabaga, un gros chou-navet, sans goût, cultivé pour alimenter le bétail. Avec mes camarades, comme Roussel et Chaval, instituteurs de campagne, nous avons des pommes de terre. Elles constitueront la base de notre alimentation pendant toutes ces années noires.

Le 2 février 1941 mes parents rejoignent Fieulaine avec leur maigre bagage. Papa, se refusant à saluer et obéir aux allemands a été mis à la retraite pour raisons de santé (!). Il a cinquante-deux ans mais suffisamment d’annuités pour percevoir une retraite complète, modeste certes. A Fieulaine ils vivront pratiquement en autarcie avec les produits du jardinet de l’élevage (poules, lapins, canards, chèvres, une vache). Quant à mon frère il vit avec eux, secrétaire de mairie à Fieulaine et Fontaine-Notre-Dame.

Les parents de Renée acceptent de me prendre comme pensionnaire midi et soir. Je garde le logement du 25, rue Léon-Zeude. J’enseigne à l’école primaire supérieure Cyprien-Desgroux. Renée entre à l’office du blé départemental comme commis. Notre vie s’organise avec tous les soucis que causent les restrictions de toutes sortes.

La défaite de 1940 avait été si brutale et si totale qu’elle assomma littéralement tout le monde. La première réaction avait été une réaction lors de l’arrêt des hostilités. Chez beaucoup cette première phase passée, la réaction fut toute de colère contre les responsables d’un tel désastre, chacun désignant les siens en fonction de sa vision des événements ou de ses opinions. Tous espéraient que l’armistice amènerait rapidement la paix. Grande fut dans notre zone occupée la désillusion. La cruelle réalité se révéla vite dans toute son horreur. Le soldat allemand était là et bien là. Il couvrait les murs de ses affiches de propagande et dévalisait ce qui restait dans les magasins avec une telle avidité qu’on le surnomma les « doryphores ». La vérité était là : ils prenaient tout.

Ainsi commencèrent les longues journées du froid et de la faim, les queues, les attentes interminables devant des boutiques rapidement vidées. Se vêtir, se chausser, se déplacer deviennent des difficultés souvent insurmontables pour beaucoup. Les prisonniers de guerre (plus d’un million et demi) ne reviennent pas et les ouvriers commencent à partir pour les usines allemandes.

Peu à peu, à l’humiliation succèdent la rage et la rébellion ; La radio anglaise écoutée chaque soir malgré les brouillages opérés par les autorités d’occupation et les efforts d’une police omniprésente, réconforte chacun. Et c’est ainsi qu’on apprend peu à peu les échecs allemands, l’épopée des Français Libres. Et c’est ainsi que se forment des groupes qui diffusent la bonne parole, recueillent des renseignements, cachent des prisonniers évadés ou des aviateurs alliés.

Dans cet esprit se forme fin 1942 le groupe de Rochy-Condé qui s’étend sur les cantons de Beauvais, Noailles et Nivillers. Certes les hommes sont peu nombreux à s’engager car la peur de la police allemande est réelle. Celle-ci, très professionnelle, ne recule devant aucun moyen. Du groupe ci-dessus se développe l’organisation du secteur Ouest de l’OCM  (Organisation centrale militaire). Les responsables départementaux sont deux instituteurs de la région de Creil, Beleil et Delnef. Après leur déportation en 1943 le responsable départemental du mouvement Volontaire Paysans et Ouvriers (VPO) Rogette devient responsable OCM. Le groupe de Rochy-Condé compte dans ses rangs Louis Martin,  meunier à Rochy-Condé, Dupetit, serrurier à Marissel, Limouzin, de Lassigny et Chardeau, vétérinaire à Beauvais. Je suis recruté par Louis Marin qui me remet un petit triangle de papier protant le numéro EQ 7851 C. J’appartiens à l’armée secrète sous ce numéro.

Les activités sont très diverses : de novembre 1942 à mars 1944, transports d’armes réceptionnés lors de parachutages dans la forêt de La Neuville-en-Hez, en vue de la constitution de maquis, sabotages divers, le tout séparés par de longues périodes d’attente et d’inactivité. En février 1944, je deviens officier de liaison du chef départemental des FFI de l’Oise (Fromonot alias Monturat, de Rougemont) et de son chef d’état-major (Rabet alias Rogette). Cette nomination sera confirmée le 14 juillet 1944 par lettre du commandement du COMAC. J’assure donc les liaisons entre les secteurs et l’état-major départemental, entre l’état-major départemental et l’état-major régional dont le capitaine Godier alias Gérard est le correspondant que je retrouve à Chantilly. Je participe également aux sabotages contre les voies de communications et installations ennemies. Compte tenu des ordres reçues je suis resté dans ma famille déménagée en décembre 1943 à Rochy-Condé et est continué à assumer mes fonctions de surveillant général à l’EPS, fonctions qui m’avaient été confiées en octobre 1942. En mai 1944, j’abandonne définitivement toute activité professionnelle.

Sous la poussée des armées alliées, les troupes allemandes quittent la région de Beauvais les 30 et 31 août 1944. Adjoint au commandant Rogette je participe à la libération de Beauvais, libération effective le 31 août à midi. Le 30 août, j’ai tenté une nouvelle fois de franchir les lignes allemandes, entre Laversines et Bresles, afin de rejoindre le chef départemental à Clermont-de-l’Oise. Arrêté par des feux de mitrailleuses je dois faire demi-tour. Le 31 août, je reprends cet essai sur la moto d’un gendarme et arrive à Clermont sans coup férir, ayant traversé la forêt de Hez encore parcourue par des élément ennemis en retraite.

Revenu à Beauvais, nous retrouvons une ville ou l’euphorie est générale. Le lieutenant-colonel Monturat installe le nouveau préfet (Perony) à la préfecture où l’administration se renouvelle. Quant à nous, la caserne Agel nous accueille et nous formons le bataillon 3/51, équipé d’armes allemandes et vêtus d’uniformes de l’armée d’armistice. Très vite les nouvelles institutions se mettent en place. La page noire de l’occupation est tournée.

Renée et moi avons ainsi vécu ces années. En 1943, nous nous sommes mariés à Fieulaine un samedi 14 août à 11 heures dans la même église que mes parents à vingt-quatre ans d’intervalle. Nous avons ensuite subi à Beauvais tous les bombardements dont nous ont gratifié les aviations alliés (rien que douze en septembre 1943 !) attirées par le terrain d’aviation de Tillé.

Le 1er octobre 1944, je signe un engagement volontaire pour la durée de la guerre devant l’intendant militaire. Me voici lieutenant à titre fictif, chef de la 3e Section de la 2e Compagnie du 3e Bataillon du 51e Régiment d’Infanterie. Limouzin commande l’unité, l’adjudant Dumont la section de commandement, le lieutenant Fourdinois un menuisier à Crévecoeur, la 1re Section composée de FFI de sa localité, la 2e Section composée de FFI de Grandvilliers est aux ordres de l’adjudant-chef Bussy. Ma 3e Section rassemble les gars de Méru et environs. Le sergent-chef Gosse, ancien fusilier-marin est mon adjoint (il sera tué le 25 décembre 1950 comme adjudant lors de l’attaque de Binh Lieu au Nord-Tonkin).

Dès la fin octobre nous percevons tenues, équipements et matériels fournis par l’armée britannique. Mais aucun matériel anti-chars ni anti-aérien. Seule la coiffure (béret noir) est française !

Le 21 décembre, nous embarquons pour rejoindre les Ardennes, former une ligne de défense sur la Meuse en compagnie d’autres bataillons de FFI des Ardennes, réunis sous le sigle « Groupement des Ardennes » aux ordres du colonel Petetin, dont le PC est installé à Mézières. Au cours de la nuit, notre train est mitraillé en gare de Laon sans dégâts. Le jour nous trouvent dispersés sur les bords de la Meuse. Avec Bussy, nous avons la boucle de Chooz, une belle distance pour deux sections ! Le froid est intense (-23° la nuit du 24 au 25 décembre) avec un épais brouillard. Les groupes s’enterrent devant les points de passages. Deux sections de mortiers et de mitrailleuses de la 17e Airborne commandées par un géant sympathique, le lieutenant Thorne of Champenois, reporter au San Francisco Tribune nous renforcent. Le 25 décembre, le temps se dégage et un magnifique soleil apparaît. Avec lui tous les modèles d’avions alliés vont se succéder, bombardant au ras de nos positions, puis de plus en plus loin. L’offensive allemande a les reins brisés. Nous patrouillons et ne trouvons plus que des restes abandonnés d’une retraite rapide. A notre droite, la 1re Compagnie perd son capitaine et quelques hommes. Et c’est ainsi que mon camarade Lamarre Marcel devient commandant de la 1re Compagnie à 19 ans !

Le 30 décembre, je suis appelé au PC du bataillon à Fumay. Je laisse ma section à Gosse. Je dois remplacer le lieutenant Bourgeois, officier de liaison auprès du groupement, victime d’un accident de moto (il y laissera la jambe droite). On me donne une voiture (402 B à boîte cotale) pilotée par un ancien maquisard du maquis Prime (maquis installé dans la forêt des Ardennes et durement dispersé par la Wehrmacht. Je loge au PC du groupement et le matin, après le rapport, je porte ordres et demandes à mon bataillon. Vers le 8 janvier, le 51e BI est rassemblé à Mon Idée-Eteignères sur la route d’Hirson.

Je pars fin janvier pour Montaigu, près de Sissonne suivre un stage de formation de chef de section. Mon ami Lamarre est de la partie. Dans un vieux château nous nous retrouvons environ 150 officiers FFI. Nos instructeurs sont une équipe des « Special Air Service » qui guerroient depuis pas mal de temps. Le capitaine Aguirec, le lieutenant de Bourbon-Parme et un jour le capitaine Grall (que je retrouverai à Pau comme chef de mon bataillon) sont les seuls dont j’ai retenu les noms. Ils essaient de nous inculquer les notions de combat en vigueur chez les SAS. Début mars, après un classement établi je ne sais comment, je me retrouve à Compiègne avec une centaine d’autres pour préparer (encore) le brevet de chef de section. L’instructeur, chef de notre brigade est le lieutenant Lecomte qui au 8e RTM a été reçu chevalier de la Légion d’Honneur en Italie. L’instruction est menée à un rythme infernal. Pour le 1er mai, nous rejoignons nos bataillons. Je retrouve le mien au château de Madrid à l’orée du bois de Boulogne. La guerre est finie. Les démobilisations vont commencer.

Le 1er juin, je suis intégré aspirant de réserve à compter du 24 septembre 1944. Quels critères ont servi à notre nomination ? Nous ne le saurons jamais. Le lieutenant-colonel Fromonot, notre chef est intégré chef de bataillon d’active. Beaucoup retournent à la vie civile, n’appréciant pas ce qu’ils considèrent comme une dégradation. Je décide de rester. Début juillet, nous nous retrouvons à la caserne Friant à Amiens où nous reprenons l’instruction et la vie de garnison dans une ville dévastée par la guerre.

Fin août, je suis dirigé sur la caserne du Merbion à Mézières pour y suivre (pour la 4e fois) un stage de chef de section. Cette fois se sera la bonne et fin octobre, reçu au brevet avec 14/20 et mention bien, je retrouve mon unité en Sarre à Piesbach. Une semaine plus tard, démobilisations aidant, mon bataillon est dissout. Une compagnie commandée par le capitaine Thiemé avec Limouzin comme adjoint est formée sous le numéro 11e Compagnie bis du 3e Bataillon du 43e Régiment d’Infanterie. La compagnie va à Freisen (Saarland) pour assurer la garde d’un camp de prisonniers chargés de travailler à la destruction des munitions que des trains entiers amènent d’un peu partout. Je devins chef d’un camp de quatre cent cinquante prisonniers dont un bon nombre viennent de Norvège où ils ont capitulé après la reddition du gouvernement du Reich. Vie sans relief d’autant plus que Renée me rejoint clandestinement. Nous sommes logés princièrement chez un cadre des chemins de fer allemand, Monsieur et Madame Becker. Début février nous passons les consignes à une unité de tirailleurs marocains. La compagnie est dissoute et je me retrouve chef de la section de canons de 57mm anti-chars de la Compagnie d’accompagnement du 1er Bataillon du 43e RI. J’ai été nommé sous-lieutenant de réserve en stage d’épreuve en vue de l’incorporation dans l’armée active le 25 décembre 1945. Le bataillon part pour Oppenau en Forêt Noire. Les démobilisations se succèdent et ce qui reste du bataillon rentre à Compiègne où ne restent que les éléments destinés à encadrer les recrues de la classe 1946/1 qui seront incorporés le 1er juin. Les autres éléments vont à Lille recréer le 43e Régiment d’Infanterie aux ordres du colonel Paquette. L’instruction est menée tambour battant. Le 18 juin, nous défilons devant le général Leclerc à Amiens.

 Fin juin, nous faisons mouvement sur Sissonne. Le camp avait été utilisé par l’armée américaine comme centre d’un vaste ensemble de repliement. Il reste des bâtiments qui avaient été transformés en hôpital et que le Génie réorganise rapidement pour nous héberger avec la main-d’œuvre fournie par un camp de prisonniers qui disparaîtra rapidement.

L’instruction se poursuit. Début août, le général de Lattre vient nous inspecter et pousse une de ces grandes colères dont il a le secret. Le chef de bataillon Violet, l’intendant de la Région, le commandant du Génie en font les frais. Après son départ, le commandant de Région (général Chevillon), le commandant du régiment (colonel Paquette) remettent les choses en perspective. Un nouveau chef de bataillon (le commandant André Tabouis) remplace le commandant Violet et l’instruction repart. Fin septembre, de Lattre revient, nous fait son numéro de charme et accorde quinze jours de permission à tout le bataillon.

En janvier 1947, nous recevons les recrues de la classe 46/2. Le 1er avril 1947, une nouvelle organisation se met en place. Les éléments du 43e RI de Lille deviennent 43e BI et ceux de Sissonne 67e BI. Nous sommes donc un bataillon formant corps intégré dans le Groupement d’Infanterie n° 1 dont le chef est le colonel Nérot qui m’appréciera et avec qui je resterai en relation épistolaire jusqu’à son décès en septembre 2000. Je prends le commandement de la Compagnie de Commandement et des Services avec le chef de bataillon Taboués André comme chef de corps et le capitaine Coquelet, adjudant-major. Le 10 juin 1947, je suis intégré sous-lieutenant d’active ce qui me vaudra de figurer sur la liste de départ pour l’Extrême-Orient.

Les jours passent. Nous défilons deux fois à Paris. J’y figure comme porte-drapeau du 67e BI. L’année 1948 s’avance et le 19 octobre 1948, je suis mis en route pour l’Extrême-Orient.




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